Appelée communément « data », la collecte et l’analyse des données statistiques se démocratisent dans les années 2000. Grâce à Billy Bean et les les A's d'Oakland dans le film Moneyball (Le stratège en français) ou encore à travers l’utilisation des bases de données du jeu Football Manager, l’avènement de la data est certainement la plus grande révolution du sport professionnel depuis des décennies.
![La data dans le football français](https://static.wixstatic.com/media/6dd116_7b0ea72b3add49008e942d528f4554af~mv2.jpg/v1/fill/w_900,h_506,al_c,q_85,enc_auto/6dd116_7b0ea72b3add49008e942d528f4554af~mv2.jpg)
Tout d’abord, rappelons ce qu’est la « data ». Littéralement, elle correspond au terme : « données ». Selon Léo Guinand, l’un des fondateurs de l’entreprise Data’scout, la data implique désormais « une association directe avec l'analyse de ces données », avant de préciser pour le football que la data « représente plus précisément l'ensemble des statistiques que nous pouvons utiliser et qui peuvent servir à une analyse. Généralement, on utilise des données dites "avancées", avec lesquelles le grand public n'a peut-être pas forcément l'habitude de cohabiter. La statistique de base dans l'imaginaire collectif, c'est souvent les "expected Goals (xG)", mais c'est aussi bien plus que cela ». En somme, la data, ce n’est pas uniquement une suite sans fin de statistiques complexes, mais d’une part la sélection pertinente des statistiques et leur interprétation à destination de la performance d’une entité sportive.
![Exemple d'analyse data de Data'scout](https://static.wixstatic.com/media/6dd116_7e57e4bfe38a45ff9a9350c7cf7081cb~mv2.jpg/v1/fill/w_800,h_897,al_c,q_85,enc_auto/6dd116_7e57e4bfe38a45ff9a9350c7cf7081cb~mv2.jpg)
Dans la recherche de cette performance, la data ne s’inscrit pas seule. Elle est notamment accompagnée par la vidéo. La preuve en est l’avènement de plateformes comme Wyscout et Instat. Le duo « data & video » permet d’améliorer particulièrement deux aspects du sport professionnel, à commencer par la recherche de performance en interne. Comme le confirme Julien Derobe, analyste vidéo de la sélection du Botswana : « c’est ce qui permet d’évaluer et d’améliorer la performance individuelle et collective de son équipe et d’évaluer celles de ses adversaires grâce à des outils d’observation et d’expertise sur l’image et la data. C’est d’abord un travail de montage, de découpage et de séquençage, puis d’analyse sur le plan tactique en corrigeant les déplacements, les positionnements tactiques et les points clés de l’organisation. Il faut bien maîtriser les outils, mais aussi comprendre les mécanismes du jeu. Cela se présente sous forme de rapport vidéo ou de données de match ». Le second aspect boosté par la data et la vidéo est le scouting. Historiquement, un scout va user de son réseau pour éditer une liste de joueurs intéressante, puis il va se déplacer pour l’observer en jeu. Grâce à la data et la vidéo, il va pouvoir réaliser de premières recherches et épurer sa liste grâce aux visionnages des matchs sur Wyscout & Instat et en consultant les données fournies par Data’scout ou Prozone. C’est un gain de temps, d’énergie et d’argent pour les clubs.
« La data permet d’évaluer et d’améliorer la performance individuelle et collective de son équipe et d’évaluer celles de ses adversaires »
En 1995 et suite au décès du propriétaire de la franchise de Baseball des Athletics d’Oackland, les nouveaux dirigeants entament une cure d’austérité. Ils demandent au directeur général Sandy Alderson de réduire la masse salariale de l’équipe. Celui-ci commence alors à réfléchir à l’utilisation des « sabermetrics ». Ce que l’historien Bill James décrit comme « la recherche de la connaissance objective sur le baseball », c’est-à-dire l’utilisation des statistiques dans une optique de performance est une véritable révolution dans le monde du sport américain. Billy Beane remplace Alderson en 1998 et poursuit cette stratégie avant-gardiste, jusqu’à créer en 2006 l'équipe possédant la 24e masse salariale des 30 équipes MLB, mais terminant la saison avec le 5e bilan victoires/défaites.
L’avènement de la data fait des émules en Europe. Notamment en Angleterre, comme l’affirme Julien Derobe : « Les clubs qui ont démontré leur savoir-faire depuis plusieurs années à ce niveau sont Liverpool et Manchester City. Ils ont intégré l’analyse vidéo à leur philosophie de jeu. Ce sont les entraîneurs qui ont su modéliser leur jeu et intégrer l’analyse dans le travail quotidien. D’ailleurs, ils ont pu travailler sur le long terme et poser les bases de leur méthode pour atteindre leur objectif au niveau national et international ». Mais la data ne profite pas qu’aux grands clubs. À l’instar des A’s d’Oacklands, certains clubs ont fait le pari de la data dans une optique d’efficience financière comme Brentford en Angleterre ou encore Le Toulouse Football Club en France.
« Ils m’ont montré des données que je ne connaissais pas sur moi ! »
En 2020, RedBird Capital Partners, société de gestion de placements américaine, rachète le TFC. Elle place à la tête du club Damien Comolli qui, lui-même, recrute pour s’occuper de la data un certain Julien Demeaux, âgé de 41 ans et notamment ancien entraîneur de baseball aux États-Unis… Dans une interview pour lesviolets.com, il détaille et ses missions : « construction du groupe professionnel (recrutement, budget, plan de succession, etc.), objectifs sportifs (modèle de jeu, objectifs de performance, analyses des performances, CPA, etc.) et préparation des joueurs (AMS – Athletes Management System, données GPS, nutrition, etc.) », dans l’objectif « que toutes les décisions stratégiques soient prises à partir de signaux objectifs et robustes scientifiquement ». La stratégie data du TFC porte rapidement ses fruits. Une remontée en première division suite au sacre en L2 en 2022 puis la victoire en coupe de France en 2023. La data toulousaine est si efficace qu’elle en étonne même les joueurs comme Cesar Gelabert : « Ils m’ont montré des données que je ne connaissais pas sur moi ! »
L'avenir de la data dans le football français
Quel est l'avenir de la data dans le football français? Le TFC a inspiré d’autres clubs français comme Le Havre et Julien Momont. Mais quel avenir pouvons-nous globalement imaginer pour la data en France ? Selon Léo Guinand, « l'avenir est radieux pour la data, la question, c'est combien de temps ça prendra pour que la data en elle-même soit considérée comme quasi obligatoire » avant d’aborder une des clés pour le développement de la data dans l’avenir : « La question est aussi de savoir comment tout ça s'intégrera à l'ère de l'IA : on en parlera dans deux ou trois ans, voire plus, il faut toujours du temps pour qu'un nouveau produit s'impose sur son marché ». Constat partagé par Julien Derobe : « On est déjà dans le futur avec l’intelligence artificielle qui peut aider à traiter de grandes quantités de données et à faciliter le travail d’analyse. On voit que les outils continuent d’évoluer et qu’on est en développement pour améliorer les rapports » même s’il rappelle l’importance fondamentale de la cohérence de la stratégie sportive : « néanmoins, le plus important reste de pouvoir adapter ces rapports aux objectifs de réalisation et au management : avoir un impact au niveau humain. C’est-à-dire utiliser ces informations pour renforcer la confiance du joueur ».
La démocratisation de la data franchit les frontières du sport professionnel. Les structures amatrices et même les particuliers y trouvent un véritable intérêt et du plaisir ! Le nombre de joueurs du jeu Football Manager ne cesse d’augmenter chaque année. L’édition 2024 n’a eu besoin que de 59 jours pour atteindre les 6 millions de ventes, soit le deuxième jeu sur PC (derrière EA Sports FC 24). On peut également citer l’explosion des jeux de fantasy football comme Mon Petit Gazon ou encore Sorare.
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Crédits photo : Calypso Media, Chris Pearson & Sorare